lundi 25 mars 2013

28 Z Fonds Cherreau


Un inventeur beaunois

 

 

I

 

Dès 1847, à Beaune, des constructeurs brevetés au service de la viticulture eurent l'idée de concevoir une machine capable d'effectuer le travail de plusieurs hommes nus en train de patauger dans la cuve durant plusieurs jours. Passionné par la technologie, Raymond Cherreau, inventeur beaunois descendant de cette famille de constructeurs, après des nuits de recherche, mit au point une technique ingénieuse aux alentours des années 1960 : il remplissait la cuve normalement de vendange foulée égrappée et laissait la fermentation se déclencher sous l'effet des levures contenues dans les peaux de raisin. Puis, il plongeait un impulseur* fabriqué par ses soins, dans la cuve et le mettait en marche une seule fois. Ensuite, le vigneron procédait à une chaptalisation aussi raisonnable que possible. A la fin de la fermentation, il faisait écouler le vin de la cuve. Le marc restait sur lattis et il était acheminé vers le pressoir, de préférence par un élévateur à godets spécialement conçu dans ce but. Ce marc était serré une seule fois, très lentement, par le pressoir, et le jus de presse était aussitôt mélangé avec le jus de la goutte.

 

Les lies, composées de bourbes de jus non fermentées et de résidus de fermentation étaient ensuite distillées séparément en eau de vie de vin (fine) :

 

Le jus de goutte, filtré à travers le marc à son écoulement, se clarifiait un mois plus tôt que s'il avait suivi le cours normal de la vinification, et était plus coloré.

La richesse en tanin du vin et l’intensité colorante se traduisaient par un enrichissement supérieur de trente à cinquante pour cent à celui d'une vendange-témoin traitée selon le processus de vinification habituel.

Cette nouvelle méthode de foulage par impulseur spécial rencontra un vif succès.

 

*Cette pompe est utilisée pour le pompage, le transfert de cuve à cuve, le soutirage, le remontage, la filtration, l'embouteillage de vins et alcools (lors des différentes étapes de leur fabrication). Les pompes à piston permettent en plus le pompage de la vendange égrappée. La forme excentrique du corps crée une augmentation du volume à l’aspiration de la pompe, créant ainsi un vide qui aspire le produit. Puis le produit est déplacé à travers le corps vers l’impulsion où une diminution du volume crée la surpression expulsant ainsi le liquide hors de la pompe dans la tuyauterie de refoulement.

 

 

 

 

 

Le but de la vinification en rouge est d’obtenir par macération une extraction aussi complète que possible des substances contenues dans les peux des raisins : matières colorantes et tanins, et leur diffusion dans le moût.

Or, paradoxalement, les peaux des raisins, après leur mise en cuve, ont tendance à se soustraire en partie à la macération, parce qu'elles remontent en surface sous la poussée du gaz carbonique et demeurent flottantes, dès que la fermentation est déclarée.

Cette accumulation de peaux sur la partie supérieure du moût porte le nom de « chapeau ». De ce fait, l’intervention du vinificateur s'avère nécessaire pour remédier à cet état de chose.

Les anciens, qui le savaient bien, ont trouvé pour seul recours le foulage aux pieds, ou pigeage, permettant de disloquer quotidiennement la formation du chapeau et le noyer dans la masse du liquide. Outre que cette tâche souvent jugée folklorique par des observateurs ignorant la réalité du travail du vigneron, était fastidieuse, elle présentait des dangers. Combien d'hommes sont morts asphyxiés après avoir percé de leurs pieds une poche de gaz carbonique dans une cuve !

 

 

Monsieur Cherreau inventa aussi des échangeurs de température, des égrappoirs-fouloirs-pompes, fabriqua des cuves pour la vinification et le stockage, des pressoirs. Mais une autre invention, en 1975, allait faire sa renommée dans tout le pays: un égrappoir-fouloir-pompe supprimant le pourri-sec à quatre-vingts pour cent.

Cette machine éraflait la vendange avant de la fouler, ce qui représentait un progrès par rapport au fouloir-égrappoir que les vignerons utilisaient jusqu'alors : l'invention de Raymond Cherreau pratiquait l’opération inverse. Mais si cette machine donnait de bons résultats avec la vendange blanche, elle posait deux problèmes pour la vendange rouge: en raison de l'écartement trop faible des cylindres, l’éraflage se faisait souvent trop rapidement et le foulage était trop fort. Quand la vendange était saine, l’éraflage se passait dans des conditions satisfaisantes, mais comme au moins une année sur deux, les raisins étaient atteints par la pourriture, il fallut remédier à ce handicap. Le foulage serré, extrayant le maximum de jus, restait contraire au désir de réduire la vitesse de fermentation, et partant, de limiter le risque d’élévation de la température du moût en cuve.

 

Monsieur Cherreau, en réduisant la vitesse de rotation de l’égrappoir et en réglant cette vitesse en fonction de l’état et aussi de la nature de la vendange, put limiter, sinon éviter l'apport de raisins altérés. Malgré la vigilance du vigneron, les vendangeurs négligent trop souvent d'éliminer la partie malade du raisin. Or le pourri sec constitue un danger lors de la cuvaison en raison des goûts anormaux et indélébiles qu’il communique aux vins rouges. Longtemps, les vignerons ne surent pas comment veiller à ne mettre en cuve qu'une vendange saine : l'égrappoir-fouloir de Raymond Cherreau arriva à point nommé. Par le moyen mécanique mis au point par l'inventeur beaunois, le raisin pourri sec ainsi qu'une partie des pellicules du raisin pourri frais étaient automatiquement éliminés du fait qu'ils restaient attachés à la rafle rejetée par l’égrappoir.

 

Nombre de vignerons de la Côte de Nuits et de la Côte de Beaune firent appel à ses services. Dans le Bordelais, on acheta aussi cette merveilleuse machine.

 

Certes, aujourd'hui, ce problème ne se pose plus dans les mêmes termes car les vignerons affectent plusieurs personnes au tri des raisins sur des tables spécialement destinées à l'élimination impitoyables de toutes les grains pourris, secs et humides, avant d'égrapper et de fouler.

 

 

II

 

 

Mais une autre nuit, la main de cet homme dessina et créa encore une nouvelle machine. Non pas au service de la vigne, mais de la pierre cette fois-ci. Son esprit d’inventeur le poussa à imaginer et réaliser une machine automatique pour le sciage et un super polissoir pour les pierres - en particulier le marbre et le granit. Il avait été le premier à créer les machines à scier la pierre, avec un fil hélicoïdal. Une innovation technologique reconnue jusqu’à Carrare en Italie, qui lui permit lors de congrès internationaux sur la pierre, de présenter son invention. Les carrières de Comblanchien et Corgoloin à quelques kilomètres de Beaune l'avaient inspiré et lui avaient permis de venir expérimenter les plans et les ébauches des machines polissoir et scies à fil.

 
Il fit breveter ses inventions dans toute l'Europe, et traduire ses documents techniques. Ainsi il gagna quelques prix, dont un au célèbre Salon International des Inventeurs à Bruxelles en 1962. Une médaille d’argent pour sa machine à surfacer les pierres.


Les professionnels de Bourgogne utilisèrent son matériel et, jusqu’en Bretagne, dans les carrières de granit, on se servit de ces machines à scier et à polir la pierre.

Ce qui incita Monsieur Cherreau, au cours de ses nombreux voyages en automobile, à prendre quelques jours de vacances estivales dans les Côtes du Nord, car le département s’appelait ainsi, avant de devenir les Côtes d’Armor en 1990. Il emmena donc régulièrement sa femme et ses deux enfants à Saint-Cast Le Guildo ainsi qu’à Perros-Guirec, où il rencontra nombre de propriétaires de carrières.

 

A Ploumanac’h, sur la commune de Perros-Guirec, il devint ami de Monsieur Yves Gad, carrier, à qui il confia dans les années 1955 son matériel pour travailler dans la carrière de La Clarté ; il tissa ainsi  de solides liens d’amitié avec la famille Gad. Ce fut aussi l’occasion de découvrir d’autres spécialistes de la pierre entre autres à l’Ile Grande, lieu plein de charme et lieu magique qu’il affectionnait particulièrement.

 

Grâce à cet homme de foi, de courage et de conviction, des centaines de vignerons et de carriers virent leur travail simplifié et amélioré. Nombre d’œnologues, d’amateurs de vins et de propriétaires de grands crus trempaient désormais leurs lèvres dans des vins plus sains, mieux élevés et plus concentrés. Bien sûr, il y eut d’autres progrès, d’autres machines, mais cette lignée de constructeurs brevetés au service des viticulteurs depuis 1847 s’achevait. Monsieur Cherreau en avait été l’un des meilleurs, et le dernier maillon.

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